Aides d’État : les subventions accordées aux particuliers et aux PME constituent une aide d’État indirecte aux banques | Case law reports

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En décembre 2018, la Commission européenne a approuvé le régime chypriote qui vient en aide aux particuliers et aux PME ayant contracté des prêts hypothécaires garantis par leurs résidences principales. Les subventions fournies par l’État permettent de rembourser aux banques les intérêts et les amortissements échus à concurrence d’un montant maximum de EUR 166’666. Les aides concédées aux particuliers ne sont pas considérées comme des aides d’État et ne sont donc pas soumises au contrôle préalable. Les PME sont des entreprises au sens de l’art. 107 TFUE, mais le montant de l’aide est considéré comme étant non significatif (de minimis). Par conséquent les aides aux PME ne sont pas soumises à l’obligation de notification préalable.

La décision est intéressante en ce qu’elle examine le statut des banques qui encaissent les subventions du gouvernement chypriote. La Commission européenne les considère comme des bénéficiaires indirectes d’aides d’État – contrairement à la position exprimée par le gouvernement chypriote -, ce qui implique la nécessité avant toute mise en œuvre d’une approbation du régime d’aide par la Commission européenne. À défaut, les subventions encaissées sont illégales au regard du droit européen et les banques courent le risque de devoir les rembourser à l’État chypriote. Le risque de récupération des aides illégales impose un examen minutieux du cercle des bénéficiaires directs ou indirects, quand bien même l’aide aux bénéficiaires directs (ici les particuliers et les PME) n’est en soi pas soumise au contrôle préalable de la Commission.

Pour qualifier les banques de bénéficiaires indirectes, la Commission européenne examine l’effet du régime d’aide envisagé pour les banques. Elle retient que le régime contribue à transformer certains prêts non performants en prêts performants ; que le régime est ouvert aux banques qui souhaitent y adhérer, ce qui montre que pour ces banques l’effet escompté est positif ; que la mesure est en outre sélective et constitue un avantage pour les banques. L’affectation des échanges entre États membres reste, comme à l’accoutumée, dans l’examen fait par la Commission très sommaire. La Commission rappelle qu’une activité transfrontière n’est pas nécessaire pour constater une telle affectation, d’autant plus que la libéralisation des services financiers engendre de par sa nature des effets réels ou potentiels sur les échanges entre les États membres.

Les mesures qualifiées d’aides d’État ne sont pas toutes interdites : certaines sont présumées compatibles avec le fonctionnement du marché intérieur de l’Union européenne et d’autres peuvent être considérées comme étant compatibles par la Commission européenne suite à un examen préalable. En l’occurrence, la compatibilité de l’aide indirecte aux banques avec les règles de l’Union européenne est examinée en fonction des bénéficiaires éligibles, c’est-à-dire les particuliers d’une part et les PME d’autre part. Comme ces subventions n’avaient pas pour but de soutenir les banques, la compatibilité de l’aide indirecte aux banques suit en réalité le sort du type d’aide octroyé aux bénéficiaires principaux. Les paiements reçus pour rembourser partiellement les prêts non performants des particuliers bénéficient de l’exemption prévue à l’art. 107(2)(a) TFUE compte tenu de leur caractère social. Les aides octroyées aux PME bénéficient du régime de faveur prévu par l’art. 107(3)(c) TFUE, en raison de l’intérêt commun visant à atténuer les difficultés sociales auxquelles font face les patrons de PME. Dans les deux cas, la saisie des maisons familiales qui servent de sûretés pour les prêts non performants risquerait de mettre ces propriétaires ainsi que leurs familles dans une situation économique et sociale précaire.

L’accent mis sur les aspects sociaux de l’aide a permis à la Commission européenne de considérer en outre que l’aide indirecte ainsi accordée aux banques n’était pas un soutien financier public exceptionnel visant à préserver la viabilité, la liquidité ou la solvabilité d’un établissement bancaire au sens de la Directive 2014/59 concernant le redressement et la résolution des établissements de crédit.

Voici quelques enseignements qui peuvent être tirés :

  • premièrement, l’examen de l’existence d’une aide d’État ne se limite pas aux bénéficiaires directs, mais doit inclure toute entreprise qui pourrait bénéficier indirectement de cette aide ;
  • deuxièmement, une aide indirecte doit être notifiée à la Commission européenne, comme le sont les aides directes, pour approbation avant sa mise en œuvre ;
  • troisièmement, l’examen de la compatibilité de l’aide indirecte aux banques avec le marché intérieur de l’Union européenne dépend du type d’aide octroyé aux bénéficiaires principaux (ou directs). Les exemptions et les traitements de faveur profitent également aux bénéficiaires indirects (ici, aux banques) ;
  • enfin, la notion d’aide indirecte, respectivement celle de bénéficiaire indirect utilisée dans le cas d’espèce fait ressortir la lourdeur administrative résultant du contrôle préalable des aides d’État dans l’Union européenne.

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